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Pour une épistémologie de la mesure : Illich et la fondation péirastique de l’écologie
samedi 01 décembre 2012

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Descriptif

Conférence donnée par Martin Fortier, dans le cadre du colloque "Vivre et penser avec Ivan Illich. Dix ans après", organisé par le Club de la Montagne Saint- Geneviève (Martin Fortier, Nicolas Nely et Thierry Paquot).

On ne compte plus le nombre de livres consacrés à l’écologie. Mais parmi tous ces ouvrages, très peu prennent à bras le corps la problématique qui sous-tend tout discours écologiste : pourquoi l’écologie vaudrait-elle mieux que la destruction la plus sauvage ; pourquoi l’humanité devrait-elle (sur)vivre et non pas plutôt s’autodétruire et disparaître ? Se pose ainsi la question des fondements de l’écologie. Parmi les rares auteurs à s’être posé cette question des fondements, on trouve Hans Jonas. Critiquant la thèse humienne de l’impossibilité d’un passage de l’être – du fait – au devoir-être – au droit – et mobilisant notamment chez Heidegger de quoi développer une éthique du devoir-être de l’humanité, Jonas propose dans son "Principe responsabilité" une réponse à la question des fondements de l’écologie. Nous montrerons cependant brièvement en quoi sa réponse n’est pas du tout satisfaisante en ce qu’elle fait fond sur des pétitions de principes tout à fait contestables. 

Le problème, dès lors que l’on discute des fondements de l’écologie, est le suivant : chacun pose ses propres axiomes et en déduit par la suite les théorèmes éthiques qui lui siéent. Partant de certains axiomes, on en arrive à la conclusion qu’il faut sauvegarder la planète et l’humanité; partant d’autres axiomes, on en arrive à la conclusion que tout cela importe peu. Nous appellerons "épistémologie de la démesure" toute démonstration qui se fonde arbitrairement sur un axiome et qui prétend que les conclusions tirées de cet axiome ont plus de valeur que celles des contradicteurs. Il y a une "hubris" épistémologique à croire que ses principes valent plus que ceux des autres. Mais dès lors, que serait une "épistémologie de la mesure", que serait une fondation non-dogmatique de l’écologie, une fondation qui échappe à tout arbitraire principiel?

Illich est à notre sens le seul penseur qui nous fournisse – implicitement – les outils d’une telle épistémologie de la mesure. La force extraordinaire de sa critique réside dans le fait qu’elle prend une forme péirastique. La démonstration péirastique est définie par Aristote dans les Topiques comme une manière de faire une démonstration qui se fonde non pas sur nos propres principes mais sur ceux de l’adversaire : il s’agit de montrer que l’adversaire a tort à l’aune même de ses propres principes. C’est typiquement ce que fait Illich dans Énergie et équité quand il démontre que l’automobiliste aurait tout intérêt à abandonner sa voiture à l’aune même de ses propres axiomes (qui lui intiment d’aller le plus vite possible). 

Ce que nous voudrions montrer, c’est que, loin de se cantonner à Énergie et équité, cette méthode démonstrative se retrouve en réalité dans l’ensemble de l’œuvre d’Illich. Il s’agira ainsi de proposer une relecture d’Illich à l’aune du concept de péirastique. Comment la péirastique s’agence-t-elle avec les trois types de contreproductivité (technique, sociale, symbolique) ? Comment, en outre, s’agence-t-elle au concept de vernaculaire ? Comment, enfin, n’est-elle toujours pas dépassée à l’âge des systèmes ?

Nous nous essaierons ainsi – quitte à aller à rebours de la méfiance d’Illich pour l’esprit de système – à une reconstruction systématique de l’ensemble de l’œuvre illichien à partir du concept de péirastique, un peu comme ont pu le faire Gueroult avec Descartes et Spinoza ou les marxistes analytiques avec Marx. Le résultat obtenu sera que l’écologie que fonde Illich à l’aide de la péirastique n’a rien à voir avec celle que défend un Hans Jonas, un Félix Guattari, ou un Nicholas Georgescu-Roegen. L’écologie péirastique illichienne se soucie fort peu de l’environnement et de la nature ; elle se fonde bien plutôt sur les valeurs humaines et culturelles. 

 

Voir aussi


  • Les promesses déçues du tournant ontolog...
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    Martin Fortier
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  • Ivan Illich et la philosophie
    Thierry Paquot
Auteur(s)
Martin Fortier
Ecole des hautes études en sciences sociales
Etudiant

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Cursus :

Martin Fortier a étudié la philosophie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et à l’École Normale Supérieure. Il termine actuellement un Master d’anthropologie sociale à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.

Son travail doctoral s’oriente, à la croisée de la philosophie, de l’anthropologie cognitive, de la psychologie sociale et de la gestion des connaissances, vers la théorie des croyances, des actions mentales et des actions corporelles, dans un cadre interculturel.

Martin Fortier est par ailleurs responsable du cycle de conférences du Club de la Montagne Sainte-Geneviève et il participe également à l’Atelier de Métaphysique et d’Ontologie Contemporaines de l’ENS ainsi qu’au projet européen de recherche en métacognition DividNorm.

 

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Dernière mise à jour : 05/04/2013