Huitième séance du séminaire Réécrire le passé colonial : enjeux contemporains des collections de musée organisé par le département ( (EHESS/ENS, Centre Maurice Halbwachs) de Sciences sociales.
Par Jessica De Largy Healy (CNRS) et Thomas Mouzard (DAC Guyane).
Jessica De Largy Healy, Les Aborigènes, leurs objets et les musées : perspectives récentes de la Terre d’Arnhem.
En 1993, dans le contexte de l’Année Internationale des Populations Autochtones des Nations Unies, le Conseil des associations des musées australiens inaugurait une politique générale destinée à promouvoir les intérêts communs des musées et des Aborigènes concernant le patrimoine culturel de ces derniers. Un document au titre évocateur, "Previous Possessions, New Obligations: Policies for Museums in Australia and Aboriginal and Torres Strait Islander Peoples", basé sur une série de principes tels que la reconnaissance des droits des Aborigènes sur les objets des musées, posa des lignes directrices pour le développement de partenariats autour de la conservation, de la documentation, de l’exposition et de l’accès aux collections concernées. Pionniers dans les débats sur la restitution et dans la mise en œuvre de collaborations avec les institutions du « GLAM sector » (Galleries, Libraries, Archives and Museums), les Aborigènes australiens participent d’un mouvement plus large qui rassemble aujourd’hui de nombreux acteurs autochtones du Pacifique et d’ailleurs autour d’une réflexion globale sur l’indigénisation des musées.
Dans cette communication, Jessica De Largy Healy s’intéressera à deux concepts alternatifs – celui du « musée relationnel » et celui de « création de valeur » - proposés pour penser les manières singulières dont les collections aborigènes sont réinvesties aujourd’hui dans les musées. A partir d’exemples tirés de ses recherches de terrain en Terre d’Arnhem et en collaboration avec le chercheur yolngu Joe Gumbula dans plusieurs musées, elle montrera en quoi ces concepts peuvent révéler des enjeux bien plus signifiants localement que celui de l’indigénisation des musées.
Thomas Mouzard, Quels pluriels ? Le projet suspendu de Maison des Cultures et des Mémoires de Guyane.
Le projet de la Maison des Cultures et des Mémoires de Guyane (MCMG) porte sur l'ensemble des communautés culturelles présentes en Guyane, dont celles auxquelles peut s'appliquer la catégorie "autochtone", les Amérindiens en particulier, mais aussi les communautés maronnes, créoles, et issues de migrations plus ou moins anciennes. Dans le cadre de ce grand chantier de la Culture comme sur le territoire Guyane, la position autochtone n'est pas aussi évidente qu'elle peut l'être dans d'autres contextes où elle s'oppose à la société dominante au sens de la définition "canonique". Pour l'équipe projet de la MCMG, il s'agissait d'appliquer les avancées de la muséologie autochtone à l'ensemble des communautés. Il était ainsi question d'établir un conseil des communautés, aux côtés du conseil scientifique, afin de garantir une co-construction des contenus et des programmes de l'établissement, conçu moins comme un musée face au public que comme une maison commune. Pour l'heure, le projet se limite à la construction d'un centre de conservation des archives et des collections, laissant en sommeil celui d'exposition permanente, de musée des enfants et de FRAC, que devrait accueillir l'ancien hôpital colonial Jean Martial ainsi réhabilité et reconverti. Le projet scientifique et culturel devrait être réécrit. Pour quelles raisons ? Dans le sens d'un musée identitaire, ou d'une maison de la construction des identités ?
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Cursus :
Jessica De Largy Healy travaille depuis 2002 en Terre d’Arnhem, une région classique de l’anthropologie australianiste. Sa thèse (PhD Université de Melbourne-EHESS 2008), qui présente l’ethnographie d’un projet d’archivage aborigène, analysait les effets de la restitution numérique d'objets muséaux et de sources scientifiques sur la transmission des savoirs. Elle examine les façons dont le processus de restitution est réinvesti par différents acteurs et dynamise les pratiques sociales, artistiques et rituelles sur le terrain. S’intéressant aux mécanismes de transposition des images sacrées sur de nouveaux supports, ses travaux mettent au jour les sources contemporaines de la création aborigène, les innovations dans la figuration du sacré, la transformation rituelle et l’émergence de nouvelles formes de représentation y compris en ligne. Ses analyses de films de rituels ont montré comment ceux-ci apparaissent comme des nouveaux supports de médiation du sacré qui s’inscrivent dans des stratégies complexes de transmission.
Recrutée en 2017 au CNRS, son programme de recherche s'intitule "anthropologie de la restitution: archives, rituels création". Qu’elle concerne la numérisation des collections muséales et des archives scientifiques ou les demandes de rapatriement physique de certains objets à leurs communautés d’origine, la restitution génère des pratiques et des discours nouveaux liés à des politiques de reconnaissance et de justice sociale, au droit de pratiquer et de transmettre sa religion, à l’éthique de la recherche et de la représentation muséale, et à la revitalisation culturelle et la perpétuation des traditions. Son programme poursuivra en l’actualisant une réflexion sur la restitution numérique et les archives autochtones, avec une attention portée à la catégorie du secret si prégnante en contexte aborigène australien. Une dimension comparative sera développée grâce à sa participation au projet SAWA (savoirs autochtones wayana-apalaï, Guyane). Elle abordera également la restitution sous l’angle du rituel et des nouvelles formes cérémonielles qu’elle génère ouvrant la recherche à des questionnements transversaux.
Cursus :
Thomas Mouzard a obtenu en 2011 un doctorat en anthropologie sociale à l'EHESS portant sur des processus de subjectivation collective à travers des rituels populaires innovants et transethiques, dans leur rapport à la politique nationale (Madagascar, 1972-2008).
Depuis 15 ans il se rend régulièrement en Guyane française où il réside depuis 2012. En 2012-2014, il mène une recherche-action à partir d'un programme de patrimonialisation en milieu amérindien.
De 2014 à 2018 il est ethnologue à la direction des affaires culturelles de la Guyane, et vient d'être recruté au département du pilotage de la recherche du ministère de la culture. En tant que chercheur il travaille à l'échelle de deux territoires issus de la colonisation française (Guyane, Madagascar) sur les processus d'identification collective et de subjectivation, en particulier sur la base des identités ethniques et des politiques publiques, de la parenté, du rituel, et de la patrimonialisation.
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