Exposé de Catherine Bourgain (Inserm, CERMES 3 – Villejuif) dans le cadre du Séminaire Cavaillès (Histoire et Philosophie du vivant) organisé par la République des Savoirs à l'ENS-PSL.
Qu’il s’agisse de santé, d’ancestralité ou de police, les promesses fleurissent qui véhiculent l’image de prédictions génétiques fiables, car « scientifiquement prouvées ». Pourtant, dans tous ces domaines, les incertitudes qui accompagnent les démarches de prédiction sont nombreuses, comme en atteste la place prépondérante prise par les statistiques dans les résultats d’analyse génétique.
"Au cours de cette présentation, je mobiliserai l’analyse de deux contextes de soin, dans lesquels la prédiction génétique est pratiquée de longue date, pour analyser quelques enjeux sociaux et politiques de la prédiction génétique : la génétique des maladies rares et l’oncogénétique.
Je montrerai que cette image des technologies génomiques comme productrices de prédictions fiables n’est pas uniquement la conséquence de promesses technoscientifiques et commerciales. Elle résulte également de l’important travail réalisé par les professionnels experts pour contrôler ces incertitudes, et rendre possible la décision médicale. Ces stratégies de gestion de l’incertitude ne sont pas homogènes. Elles tiennent compte des contraintes cliniques, scientifiques et institutionnelles spécifiques aux maladies et aux formes de prises de charge existantes.
Ainsi organisée, la prédiction génétique est à rebours d’une approche mathématique, qui serait strictement technologique et automatisable. Mais, parce que ce travail pour contenir l’incertitude est peu visible et difficilement quantifiable, c’est aux technologies génomiques sorties de leur contexte que tend à revenir le mérite de la qualité des prédictions. Par ce processus d’invisibilisation du travail des acteurs et de l’importance d’autres formes de savoirs, notamment clinique ou épidémiologique, dans la construction des prédictions, leur fiabilité devient une qualité technologique des seuls tests génétiques. Dès lors, ces derniers peuvent être sortis de leur contexte d’usage, promus et vendus sur des marchés, parés de qualités qui ne leur sont pourtant pas intrinsèques.
De fait, avec le développement des analyses à haut débit, les tests génétiques de prédiction ont connu ces dernières années une diffusion importante. Je discuterai de la fragilisation des pratiques, mises en place par les communautés professionnelles pour produire la fiabilité de ces prédictions, qui en résulte. De nouvelles formes de travail s’imposent, largement tournées autour des données, plus éloignées des patients et qui font une place bien plus large aux acteurs privés marchands, y compris dans un pays comme la France, où l’influence de ces acteurs était jusqu’à peu contenue. Je montrerai comment ces évolutions mettent à nu des arbitrages délicats autour des tests, tant du point de vue de leur utilité individuelle que des ratio coûts / bénéfices globalisés à l’échelle sociale."
Cette présentation s’appuie sur l’article : Bourgain C. et Beaudevin C. « Au-delà de la technologie : travailler à la fiabilité de la prédiction génétique ». Médecine et Philosophie. N°2 :34-39
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Cursus :
Catherine Bourgain est directrice de recherche INSERM, spécialiste en génétique humaine et sociologie des sciences. Elle est membre du comité d'éthique de l’INSERM, spécialiste des technologies de génomique.
Elle mène des recherches interdisciplinaires sur les impacts sociaux de la génomique au sein du Centre de Recherches Médecine, Sciences, Santé, Société (Cermes3).
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