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La Condition ouvrière / Une seule chose rend supportable la monotonie, c’est une lumière d’éternité ; c’est la beauté.
mercredi 17 janvier 2024

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Descriptif

« Condition première d’un travail non servile » pp.423-425
« Une seule chose rend supportable la monotonie, c’est une lumière d’éternité ; c’est la beauté »

 Par Robert Chenavier, Président de l'Association pour l'étude de la pensée de Simone Weil

Extrait étudié

Il n’y a pas le choix des remèdes. Il n’y en a qu’un seul. Une seule chose rend supportable la monotonie, c’est une lumière d’éternité ; c’est la beauté.
Il y a un seul cas où la nature humaine supporte que le désir de l’âme se porte non pas vers ce qui pourrait être ou ce qui sera, mais vers ce qui existe. Ce cas, c’est la beauté. Tout ce qui est beau est objet de désir, mais on ne désire pas que cela soit autre, on ne désire rien y changer, on désire cela même qui est. On regarde avec désir le ciel étoilé d’une nuit claire, et ce qu’on désire, c’est uniquement le spectacle qu’on possède.
Puisque le peuple est contraint de porter tout son désir sur ce qu’il possède déjà, la beauté est faite pour lui et il est fait pour la beauté. La poésie est un luxe pour les autres conditions sociales. Le peuple a besoin de poésie comme de pain. Non pas la poésie enfermée dans les mots ; celle-là, par elle-même ne peut lui être d’aucun usage. Il a besoin que la substance quotidienne de sa vie soit elle-même poésie. Une telle poésie ne peut avoir qu’une source. Cette source est Dieu. Cette poésie ne peut être que religion. Par aucune ruse, aucun procédé, aucune réforme, aucun bouleversement la finalité ne peut pénétrer l’univers où les travailleurs sont placés par leur condition même. Mais cet univers peut être tout entier suspendu à la seule fin qui soit vraie. Il peut être accroché à Dieu. La condition des travailleurs est celle où la faim de finalité qui constitue l’être même de tout homme ne peut pas être rassasiée, sinon par Dieu.
C’est là leur privilège. Ils sont seuls à le posséder. Dans toutes les autres conditions, sans exception, des fins particulières se proposent à l’activité. Il n’est pas de fin particulière, quand ce serait le salut d’une âme ou de plusieurs, qui ne puisse faire écran et cacher Dieu. Il faut par le détachement percer à travers l’écran. Pour les travailleurs il n’y a pas d’écran. Rien ne les sépare de Dieu. Ils n’ont qu’à lever la tête.
Le difficile pour eux est de lever la tête. Ils n’ont pas, comme c’est le cas de tous les autres hommes, quelque chose en trop dont il leur faille se débarrasser avec effort. Ils ont quelque chose en trop peu. Il leur manque des intermédiaires. Quand on leur a conseillé de penser à Dieu et de lui faire offrande de leurs peines et de leurs souffrances, on n’a encore rien fait pour eux. Les gens vont dans les églises exprès pour prier ; et pourtant on sait qu’ils ne le pourront pas si on ne fournit pas à leur attention des intermédiaires pour en soutenir l’orientation vers Dieu. L’architecture même de l’église, les images dont elle est pleine, les mots de la liturgie et des prières, les gestes rituels du prêtre sont ces intermédiaires. En y fixant l’attention, elle se trouve orientée vers Dieu. Combien plus grande encore la nécessité de tels intermédiaires sur le lieu de travail, où l’on va seulement pour gagner sa vie ! Là tout accroche la pensée à la terre.

Lors de la journée d’étude sur le recueil La Condition ouvrière de Simone Weil qui s’inscrit dans le cadre de la préparation à l’agrégation de philosophie proposée par le Département de Philosophie de l'ENS-PSL. Chaque intervention prend la forme d’une explication de texte d’un extrait de l’oeuvre de Simone Weil.

 

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Auteur(s)
Robert Chenavier
Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil
Philosophe / Lycée du Mont-Blanc René-Dayve de Passy

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Cursus :

Robert Chenavier est philosophe, spécialiste de philosophie sociale, en particulier de Simone Weil et d'André Gorz. Partant de la pensée de Weil et de Gorz, ses interventions et ses publications portent principalement sur la notion de travail et la forme idéale de la vie individuelle et sociale.

Robert Chenavier est président de l'Association pour l'étude de la pensée de Simone Weil depuis 1998 et gère les Cahiers Simone Weil publiés par l'Association.

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Dernière mise à jour : 26/02/2024