Le rapport entre morale et littérature ne semble pas à première vue être une question centrale, pour qui réfléchit au rapport entre philosophie et littérature. Notre but est ici de montrer que tout au contraire, un certain type d’intérêt proprement philosophique pour la littérature est, précisément, d’ordre éthique. Il ne s’agit pas d’un apport de la littérature à la philosophie morale – exemples, histoires édifiantes, ou de prétendus contenus moraux des œuvres littéraires. C’est plutôt qu’il y a un matériau commun à l’éthique et à la littérature : toutes deux semblent parler de la même chose. Pourtant le rapport est difficile à établir et n’est pas toujours fait de façon explicite : les exemples littéraires sont fréquemment utilisés en philosophie comme si leur sens était évident – par exemple, le caractère, le destin ou les actions de tel personnage de roman – alors que ce sont la richesse du contexte, le détail de l’écriture, l’imagination du lecteur qui seuls pourraient le leur donner.
Ce qu’apporte la littérature à l’éthique (le contenu, la portée morale des œuvres littéraires, ou cinématographiques) ne peut être déterminé par une « connaissance », des « arguments » ou des « jugements » ; c’est la première thèse de Stanley Cavell, Cora Diamond et Martha Nussbaum qui ont profondément transformé ce champ des études littéraires. Avant de critiquer une certaine approche de l’éthique, Nussbaum et Diamond ont rejeté, et c’est peut-être tout aussi important, une approche de la littérature qui qualifierait d’emblée comme naïve ou moraliste toute tentative d’intégrer le texte littéraire à nos vies ordinaires, « de poser à un texte littéraire des questions concernant la façon dont nous pourrions vivre, en traitant l’œuvre comme une œuvre qui s’adresse aux intérêts et aux besoins pratiques du lecteur, et comme portant dans un certain sens sur nos vies » (Nussbaum). Un de leurs premiers principes est que l’œuvre ne parle pas que d’elle-même, que son intérêt n’est pas seulement dans « les complexités de la forme littéraire et de la référentialité intertextuelle ».
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Cursus :
Sandra Laugier est une philosophe française contemporaine qui a travaillé sur des questions de philosophie du langage, de philosophie des sciences et de philosophie morale. Elle est actuellement professeur à Paris 1, où elle dirige l'équipe Execo dans l'EA philosophies contemporaines.
Sandra Laugier est spécialiste de philosophie du langage ordinaire (Wittgenstein, Austin) et développe des approches inspirées par ce courant en philosophie morale et politique.
Elle a traduit un grand nombre d'ouvrages de Stanley Cavell et a introduit, outre l'œuvre de Cavell, plusieurs objets de réflexion inédits dans le champ philosophique en France : les nouvelles lectures de Wittgenstein, l'éthique particulariste (Iris Murdoch, Cora Diamond), l'éthique féministe du care, le transcendantalisme américain et le perfectionnisme moral (Emerson et Thoreau, notamment sur le thème de la désobéissance civile), la réflexion sur le rapport entre éthique et littérature, et sur la culture populaire (cinéma et séries TV).
Dernière mise à jour : 30/03/2012