Conférence donnée dans le cadre du séminaire Littératures et théories
postcoloniales coordonné par Laetitia Zecchini (CNRS/ARIAS) et Lise
Guilhamon (Versailles/ St Quentin)
Ce séminaire se propose
d’aborder « la pensée postcoloniale » comme registre de questionnement à
travers une démarche proprement littéraire fondée sur l’étude d’oeuvres
singulières, et de travailler au plus près de l’articulation théorie /
littérature.
Exposé de Marta Dvorak
"L’articulation théorie/littérature est au cœur de mes préoccupations depuis le colloque international que j’ai co-organisé à la Sorbonne Nouvelle en 2005 avec le critique W.H. New. L’ouvrage Tropes and Territories qui en découla, ainsi que l’ouvrage Crosstalk que je co-dirige actuellement avec Diana Brydon, m’ont amenée à approfondir ces réflexions. De même, ayant déjà trouvé fructueuse la démarche qui consiste à aller du particulier au général lorsque j’ai publié The Faces of Carnival in Anita Desai’s In Custody, j’ai choisi ici d’analyser en tant qu’étude de cas le roman de l’écrivaine zimbabwéenne Tsitsi Dangaremmbga, Nervous Conditions, et plus précisément l’articulation complexe entre l’œuvre littéraire et le texte théorique phare à double tête qui l’avait inspirée. Le roman se nourrit notamment de la préface mythique de Jean-Paul Sartre qui accompagne Les Damnés de la terre de Frantz Fanon, un essai ventriloque où un maître-penseur amplifie et radicalise l’autre, et qui incarne tout un système qui pense les relations de pouvoir et de subordination. Ce qui m’interpelle, c’est la mise à mal d’une homophonie qui est au service d’une doxa, d’une vision du monde en passe de devenir à son tour totalisante. Ce qui me séduit, c’est l’orchestration d’une multivocalité qui ne cherche pas l’unisson à tout prix et ne fuit pas les dissonances. Je m’intéresserai aux techniques de composition qui déstabilisent, notamment un contre-texte syncopé qui s’érige en contrepoint féministe à la mélodie postcoloniale. A travers le couple Sartre/Fanon, le postcolonialisme a élaboré à partir du marxisme une politique du subalterne qui s’appliquait aux peuples aussi bien qu’aux classes, et, au moins du bout des lèvres, aux femmes. Dangarembga emprunte ces pistes du subalterne avec sincérité, mais celles-ci se brouilllent quand elle tente de marcher sur les deux côtés de la rue à la fois. Les voies et les voix discursives du feminisme et de l’anti-colonialisme superposées à l’origine en lignes mélodiques horizontales en viennent à se frotter, voire à entrer en colision. Or, ce questionnement audacieux d’un système de pensée contestataire mais phallocrate se trouve à son tour désavoué par l’instance narrative. Cette stratégie narrative qui impose par la dissollution une résolution aux relations tensionnelles qu’elle a elle-même instiguées m’incite à ajouter encore une strate dialogique à notre trame fiction/théorie. Je propose dans un dernier temps de réfléchir à certaines analogies entre cette démarche et les mutations récentes qu’a connues le domaine de la théorie postcoloniale qui doit négocier avec un monde soumis lui-même aux tensions d’une mondialisation économique et culturelle. "
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Cursus :
Marta Dvorak, agrégée d'anglais, est professeur de Littérature canadienne et de Littérature post-coloniale au département du Monde anglophone à l'Université Sorbonne Nouvelle Paris 3.
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