Conférence de Jean-Marc Lévy-Leblond dans le cadre du colloque "L’influence souterraine de la science sur la littérature et la philosophie (et réciproquement)"
Brecht est sans doute, des grands écrivains du XXe siècle, l’un de ceux qui s’est le plus constamment et le plus intensément intéresse a la science. Des sa pièce de jeunesse Homme pour homme, il cite Copernic ; dans ses Histoires d’almanach, il consacre des contes a Bruno et Bacon. Il approche personnellement les scientifiques de son époque (en 1930, il va écouter une conférence d’Einstein). On trouve dans son recueil d’aphorismes Me-Ti nombre de réflexions sur la science moderne. Brecht puise dans la science, non seulement des thèmes et des personnages, mais des méthodes d’analyse et même des modèles d’écritures. Ainsi, dans L’achat du cuivre, élabore-t-il sa théorie du théâtre épique en s’opposant directement a la dramaturgie d’Aristote, comme Galilée avait fonde la nouvelle physique contre le même Aristote. Brecht déclare d’ailleurs élaborer une theorie du “théâtre de l’ère scientifique”. Sans doute, Brecht ne pouvait-il échapper a la fascination du modèle scientifique explicitement revendique par le marxisme-léninisme, et fait preuve d’un scientisme quelque peu primaire, identifiant le développement scientifique et technique au progrès social et politique. Mais c’est très vite une conception beaucoup plus subtile qu’il développe, insistant désormais sur la subordination du rôle des connaissances scientifiques aux conditions sociales, et montrant une conception remarquablement dialectique de la connaissance scientifique. C’est la Vie de Galilée, sa dernière pièce achevée, qui constitue le point culminant de la réflexion de Brecht sur la science. Cette pièce a connu trois versions successives, et son élaboration s’est étalée sur une quinzaine d’années. Au départ, dans le contexte du totalitarisme nazi, Brecht entend montrer la lutte entre la vérité (scientifique-philosophique) et l’oppression (politico-idéologique), et fait de Galilée un héros de la raison victime de la répression. En 1945, Brecht, exile aux États-Unis, reprend la pièce, et l’enrichit de profondes notations sur la psychologie du personnage de Galilée. Brecht est l’un des rares auteurs à comprendre et à montrer la véritable jouissance de la pensée que la science apporte parfois. Mais la bombe d’Hiroshima, qui éclata alors, le marqua fortement. La troisième et dernière version de la pièce fut écrite peu âpres le procès Oppenheimer, alors que Brecht consacrait beaucoup d’énergie militante a la défense de la paix. Galilée y tient un rôle beaucoup plus ambigu, et le jugement porte sur son abjuration reste problématique. A sa mort, Brecht envisageait de donner une suite à la Vie de Galilée, à partir de celle d’Einstein (qui venait de disparaitre), et du cas Oppenheimer.
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Cursus :
Physicien, épistemologue et “critique de science" , professeur émerite de l'Universite de Nice Sophia-Antipolis, Jean-Marc Lévy-Leblond a enseigné dans les départements de physique, de philosophie et de communication.
Après un doctorat d’État ès sciences physiques (physique théorique) à l’université d’Orsay en 1965, il a été successivement chargé de recherches au CNRS, maître de conférences à l’université de Nice Sophia Antipolis, professeur à l’université Paris 7, et à Nice, où il a enseigné dans les départements de physique, de philosophie et de communication. Il est professeur émérite de l’université de Nice et fut directeur de programme au Collège international de philosophie de 2001 à 2007.
Il a publié de nombreux articles sur ses travaux de recherche qui portent principalement sur la physique théorique et mathématique et sur l'épistémologie.
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